La route illuminée
"L'esprit est la réalisation créatrice de chaque instant, l'intégration du commencement et de la fin en une synthèse
dont la naissance et la signification se renouvellent à chaque instant" (Dane Rudhyar)
 
 
"Apprenez vos théories aussi bien que vous le pouvez puis mettez les de côté quand vous entrez en contact avec le vivant miracle de l'âme humaine." C.G Jung

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Intuition et symboles

Extrait de "astrologie de la personnalité" de D. Rudhyar
(Librairie de Médicis)
 
 
"L'astrologie nouvelle repose sur cette conception positive du temps. Elle fait appel à une faculté étrangère aux cerveaux sclérosés par une interprétation négative du temps voulant que le tout meurt à chaque instant dans ses parts.

Ce tout, alors, n'a plus qu'à s'adonner à une quête frénétique de parts nouvelles. Par la maîtrise des lois causales régissant les rapports entre les parts, il retarde le plus possible, grâce à l'ingéniosité technique, leur inévitable désintégration et préserve leur structure spatiale. La meilleure défense est l'attaque, dit-on; ainsi une inflation sans limites assure notre auto-conservation.

En découlent l'impérialisme et la cupidité, alimentés par une permanente angoisse sous-jacente. C'est à la limite, le symbole du "magicien noir" : vampire terrifiant et mortifère, il se nourrit de la mort d'autrui pour assurer sa préservation. Telle est l'expression suprême du temps négatif: l'intellect réducteur consomme toute chose après l'avoir décomposée en ses éléments, dépourvu qu'il est de toute créativité en l'absence de la vertu holistique du temps authentique.
 
Il ne s'agit que d'un symbole, peut-être, mais c'est là l'aboutissement de toute démarche exclusivement logique, analytique et causaliste.
 
A l'opposé, on trouve l'intuition, la capacité de s'identifier au pouvoir créateur du temps.

Ce dernier appréhende toute situation nouvelle dans sa globalité et y réagit de même instantanément. Aussi le tout s'adapte-t-il parfaitement au tout en assurant la réalisation de toutes les relations qui s'y trouvent impliquées.
L'intuition au niveau psychomental se comporte de manière identique.

Voici comment Jung en parle : "c'est une sorte d'appréhension de n'importe quel contenu....Elle nous présente subitement un contenu sous formé définitive.... De là, la sûreté et la certitude de la connaissance intuitive qui permit à Spinoza de tenir la scienta intuitiva pour la forme suprême de la connaissance. (Types psychologiques). " A nos yeux la meilleure définition que l'on puisse en donner est la suivante : l'intuition est la perception holistique, la conscience de l'être : la faculté de prendre conscience de l'identité (intégrité) d'un tout. Elle s'oppose donc à la sensation. Les sensations, en effet, sont toujours fragmentaires, et, dès lors, exigent le recours à la logique causale (ou à la capacité biologique équivalente d'associer les sensations) pour assurer leur coordination. L'intuition ne repose pas sur la logique causale mais sur une logique déterminée propre, la logique holistique. La certitude qu'engendre une prise de conscience intuitive se distingue de la pure proposition mathématique, elle n'en est pas moins une tautologie à sa manière.

Pour B. Russell, la tautologie est une proposition démontrant que "certains ensembles différents de symboles sont des moyens de dire la même chose". Il s'agit autrement dit, de procéder à l'assimilation de deux représentations symboliques. La prise de conscience intuitive est similaire à la tautologie parce qu'à travers elle un tout (soit-il une personne ou une situation donnée) s'identifie à une qualité. On sait intuitivement qu'une personne est honnête ; on réalise de manière spécifique l'identité entre la personne et l'honnêteté. La qualité (l'honnêteté) vient se superposer à l'idée de la personne et ne fait plus qu'un avec elle. A notre avis toute intuition peut s'expliquer comme l'assimilation immédiate d'un tout particulier à des qualités fondamentales présentes dans l'inconscient. Lors de la prise de conscience intuitive, une de ces qualités (voire plusieurs) jaillit soudainement hors de l'inconscient. Celles-ci sont à ce point indissociables de l'image mentale de l'objet concerné que ce dernier prend tout son sens par rapport à elles.

Lac Lamoura - Haut Jura

 

Reconnaissant l'ordre et les mouvements célestes des astres, l'astrologie participe d'une prise de conscience intuitive. La notion d'ordre était latente dans l'inconscient. C'était sur le plan psychologique, la conséquence d'un vif besoin de compensation devant l'anarchie du quotidien. De plus l'observation révéla une étonnante régularité dans les mouvements des corps célestes. De fait, perception interne et perception externe eurent tendance à s'identifier : l'une devint le symbole de l'autre. Toute intuition repose sur des symboles. Et que sont les symboles ? Des représentations de qualités appartenant à des touts.
 
A l'opposé, énumérations et catégories relèvent des parts. Les parts existent à l'état de simultanéité co-existives, c'est à dire dans l'espace. Juxtaposées, elles ressortent principalement par leurs différences (disposition, orientation, comportement). Elles détiennent des propriétés distinctives grâce auxquelles l'analyse les repère sur un espace homogène, ou bien les une par rapport aux autres. Aussi peut on dénombrer les parts, leur attribuer des valeurs quantitatives et des relations causales, les classifier, les compartimenter, etc. Par contre avec des touts, on est confronté à des individualités véritablement indivisibles que l'on doit comprendre et vivre que des touts. D'où la nécessité de créer un courant de sympathie entre eux et nous-mêmes. Notre globalité rencontre leur globalité et ne fait plus qu'une avec elle. De fait naît en nous un état psychique purement qualitatif ; car comme Bergson le montre dans "les données immédiates de la conscience", les états psychologiques sont en eux-mêmes purement qualitatifs, et la durée pure est une succession de changements qualitatifs".

En deux mots, faisant l'expérience d'un tout nous l'investissons d'une qualité à l'image de son génie : sa signification, son âme. Mais comment transmettre cette âme ? Non par une simple énumération des parts mais par un symbole qui, tel un signe, révélera la signification du tout. Valeurs temporelles, valeurs spirituelles, valeurs globales (toutes similaires) ne peuvent se communiquer directement. L'analyse intellectuelle et ses opérations mentales connexes ne sont d'aucune utilité pour livrer la totalité d'un tout, le génie d'une situation ou la plénitude de l'instant. Seule l'intuition, fondée sur l'identification et la sympathie (l'adéquation parfaite) entre sujet et objet, peut permettre de prendre conscience de cette plénitude, de ce génie. Mais comment susciter cet état d'identification? seulement par l'expression d'une situation ou d'une image qui, telle une mise en scène, extériorisera la qualité de ce tout et provoquera chez l'autre l'expérience de cette qualité.

Imaginons un homme dans une jungle si profonde qu'il n'a jamais vu la nuit étoilée. Sans arrêt en proie à la crainte et à l'hostilité de son environnement, sa vie se limite à un horrible chaos d'instincts déchaînés. Un jour, un être supérieur l'entraîne au sommet d'une montagne d'où il découvre l'ordre des étoiles. On lui enseigne les rudiments d'astronomie et les lois des mouvements célestes. Pour la première fois, la totalité de son être fait face à la totalité de l'univers : la réalité de l'ordre et de l'harmonie s'intègre à son vécu. Alors il comprend que même dans la jungle la vie répond à une harmonie grandiose et mystérieuse. De retour dans la jungle, entièrement pénétré de cette expérience, il tente de divulguer à ses semblables ce que l'ordre signifie, sans succès bien entendu. En effet, nul ne jouit autour de lui d'une expérience sensorielle susceptible de donner le "symbole" de l'ordre. Finalement il conduit ses frères au faîte de grands arbres d'où ils contemplent le ciel nocturne. Nuit après nuit, ils découvrent le spectacle des étoiles et ressentent la réalité de l'ordre universel. Désormais ils ont vu un "signe". Quand par la suite, cloués à terre le sombre chaos de la jungle les oppresse et qu'ils se sentent perdus, un des leurs les rassure : "souvenez vous des étoiles, il existe un ordre dans le monde". Ainsi les hommes en proie au désespoir peuvent de nouveau faire l'expérience de l'ordre grâce à la vertu évocatrice du symbolisme des étoiles.

Le tigre se change pareillement en symbole de peur, une maison en symbole de protection.

Autrement dit, une situation vécue, spontanément identifiée à un état psychologique, sert de symbole à ce dernier. C'est cet état, sous forme d'image symbolique ; et, à un stade ultérieur, un mot, une phrase ou une oeuvre d'art. L'image ou la scène est un symbole approprié parce que avant tout elle représente une situation globale. On doit l'appréhender comme un ensemble dynamique., autrement elle ne saurait susciter chez un tiers un état psychologique globalement déterminé. Ensuite on doit la rapprocher de l'expérience passée d'autrui, directement ou, du moins, indirectement. Nul symbole est évocateur pour qui n'a pas éprouvé l'ensemble dynamique qu'il décrit. Le tigre ne symbolise pas la peur pour celui qui n'a jamais soit rencontré soit entendu parler de tigre. Plus l'expérience est reléguée, moins le symbole est pertinent car plus il perd de sa vertu évocatrice.

Nos intuitions se fondent sur des symboles, avons nous dit, mais aussi nos instincts d'une certaine manière. L'animal réagit instinctivement à une situation donnée, mais si l'espèce à laquelle il appartient n'avait jamais fait l'expérience des situations identiques par le passé, il n'aurait aucune réaction ni en aucun cas un comportement aussi adapté. L'expérience répétée x fois fait force de symbole: le signe d'un état psychologique et biologique contraignant à une adaptation immédiate. La réaction instinctive n'est pas seulement immédiate, c'est aussi une parfaite adaptation du sujet à son vécu extérieur. La chose est possible en raison de la signification absolue que détient le symbole et la pression qu'il exerce pour assurer le comportement vital et biologique adéquat. Pour l'homme moderne, c'est toujours le contraire ou presque : son esprit analyse tant, qu'il perd toute vision de synthèse. Il ne connaît pas de réactions globales, à moins d'y être formellement contraint par ses pulsions biologiques. Pour lui, ni les autres ni la vie ne sont des touts. Aussi nulle identification spontanée entre qualités et symboles correspondants. D'où la nécessité d'une analyse détaillée, qui entraîne une réaction erronée ou différée. Ni l'instinct ni l'intuition ne procèdent ainsi : leur appréhension est synthétique et spontanée; leur vision est donc globale et identifie toute chose à une qualité (voire plusieurs) en provoquant une réaction appropriée. L'Indien en Amérique se comporte encore de la sorte aujourd'hui : la voix d'un inconnu, son silence ou un rien d'inexprimable font ressortir pour lui, tel un symbole, son identité profonde. Et il sait donc réagir avec justesse, au contraire de l'homme blanc.

L'intuition est donc la capacité de voir dans un ensemble le symbole d'une qualité essentielle de la vie. C'est voir l'âme en chaque chose, la globalité de chaque tout. Grâce à son instinct, l'animal évolue dans un monde de symboles inconscients le poussant à réagir selon des modèles de comportements idéaux. L'homme véritablement intuitif vit dans un univers de symboles conscient, dans un monde d'âmes plein de sens. A chaque instant ces symboles se combinent en un autre symbole : le symbole semence de l'instant qui, dans la réalisation de l'instant, dévoile pleinement la qualité significative de son âme. Aussi, peut-on à l'échelle cosmique, comprendre chaque instant de l'univers comme le symbole cosmique révélant la qualité de l'instant et de l'âme du cosmos : Dieu. Cependant l'instant ne se réalise qu'en fonction de l'individu qui le vit sur Terre et, au bout du compte de l'humanité tout entière. Chaque instant signe la naissance d'innombrables touts, et, par loi de filiation cosmique, sa qualité détermine celle des touts qu'il engendre. Or comme le ciel est le symbole suprême de l'ordre naturel et cosmique, on verra dans sa configuration le symbole radical de la totalité (le thème astral) globalement et intuitivement. En effet, pour prendre conscience de symboles holistiques, l'intelligence analytique n'est d'aucune aide.

Si le thème a une portée essentielle et concrète, ce ne peut être que comme un symbole :
comme une configuration globale (tel un entier). L'intégrité du ciel natal et l'intégrité de l'ipséité et de la destinée du natif sont identiques : l'expression de la plénitude de l'instant. La logique intellectuelle veut que si A=B et B=C, A soit égal à C. La logique holistique cependant accorde un sens différents au symbole = ; un sens génétique en quelque sorte.

Les révolutions des corps célestes ne sont pas les seuls symboles possibles pour appréhender intuitivement l'âme de l'instant.. Théoriquement tout est symbole pourvu que, premièrement, l'interprète ait une vision de synthèse où il s'investisse entièrement, donc une intuition optimale; et que deuxièmement, sa perception réponde aux principes de la "logique holistique", c'est à dire de la cohérence fonctionnelle. L'intellect prend ici sa vraie place. Pour l'instant la "cohérence fonctionnelle" est inconsciente et biologique.

Par exemple, dans les rites de séduction chez les animaux, certains comportements agissent comme des symboles de la pulsion biologique à s"accoupler. L'animal ne peut se méprendre sur leur signification; grâce à la logique holistique autrement dit. Son instinct sait avec certitude ce que la danse du mâle (ou le vol de la femelle) veut dire par rapport à la fonction biologique de propagation. Son interprétation, inconsciente mais infaillible, est fonctionnellement cohérente parce que l'"esprit", auteur de cette interprétation, vibre en phase avec le principe vital et l'instant tout entier. Le printemps, moment de l'accouplement, détermine par une compulsion irrémédiable l'interprétation que fait l'animal des symboles propres aux rites d'accouplement. L'âme de l'instant et l'être de l'animal sont identiques sur le plan de la signification. Dès lors l'interprétation inconsciente et instinctive ne peut être fausse.

Réaliser, intuitivement et à tout instant, son essence et son destin pose un problème bien plus complexe : celui de la conscience. En effet, la fonction idéative (le conscient) s'occupe principalement de parts et non de touts. Elle s'élabore à partir de sensations disparates qu'elle associe et rationalise. En l'absence de réorientation, le conscient s'applique plus à des valeurs spatiales (formelles) qu'à des valeurs temporelles (holistiques) pour lesquelles le sentir est nécessaire. Sentir et penser s'unissent pour donner naissance à une nouvelle forme d'esprit. Un esprit de synthèse pour qui le tout prévaut sur les parts, le psychologique sur l'intellectuel : de mécaniste, l'esprit devient holistique. Plus rien ne le limite aux objets matériels qu'il cesse d'énumérer et de classifier en termes de propriétés spatiales. Libéré, il s'intériorise et "sent" la force vivante de l'instant à travers les symboles. Rêves, visions mystiques, présages, "signatures" occultes, philosophie ou divination, l'important en tout ceci est que la vie recouvre un sens.

L'homme devient interprète et prophète : il évolue dans un monde d'âme peuplé d'ensembles signifiants. La plénitude (holisme) agit dans sa conscience et confère à son intuition la même certitude qu'à l'instinct de l'animal. L'intellect ne connaît une telle certitude qu'en la logique et les mathématiques pures : inhérente à la tautologie, elle procède d'une identité patente. L'animal interprète les rites d'accouplement sans se tromper parce qu'il s'est identifié dans l'instant au besoin de s'accoupler, mais en toute ignorance. L'intuition parfaite résulte aussi d'une identification (d'une "sympathie" absolue, pour Bergson) entre l'ensemble percipient et l'ensemble perçu. Cette identification survient au sein de l'instant, dont l'individu, désormais, se pénètre de l'énergie créatrice de touts.

Nul système symbolique (et donc l'astrologie) est nécessaire avec une telle intuition. Néanmoins comment communiquer cette dernière ? Un système interprétatif s'impose donc; un ensemble de symboles, "jalons" entre la plénitude de l'instant et tous ceux qui la perçoivent. D'où le besoin d'un langage comme l'astrologie ou les hexagrammes du Yi King. Et C'est là qu'interviennent logique holistique et cohérence fonctionnelle, bases véritables de l'astrologie, dont la logique, pour l'intuition authentique, est aussi logique que la logique intellectuelle. Néanmoins créatrice, elle n'est pas aussi rigide et irréductible (du moins en apparence); c'est une fonction de la vie dans son évolution.

A l'image de la logique de l'instinct, elle s'adapte à des situations et des plans d'existence nouveaux. Ses formes sont multiples, mais son essence reste inchangée."

(Dane Rudhyar)