"Apprenez vos théories aussi bien que vous
le pouvez puis mettez les de côté quand vous entrez en contact avec le
vivant miracle de l'âme humaine." C.G Jung
Les
oppositions, en astrologie, sont des points très importants à
étudier. En
effet, observer les
deux aspects opposés des choses peut aider à une meilleure
compréhension de l'ensemble, une meilleure intégration de deux
polarités
différentes.
Nous
avons souvent tendance à nous fixer sur le côté lumineux de nous-mêmes et
à ignorer ou refouler le plus sombre.
Nous
portons souvent des jugements sur les autres, surtout lorsqu'ils
manifestent des comportements criminels. Or, que savons-nous de ce qui
sommeille en nous et que nous croyons incapable de manifester
dans des circonstances particulières auxquelles nous n'avons pas été
confrontés pendant notre vie ? Qui peut dire avec certitude ce qu'il
aurait fait dans telle ou telle circonstance ?
Cette
connaissance et en même temps cette ignorance paraissent bien
appartenir à la symbolique neptunienne qui contient 'tout", réservoir
de toute l'histoire de l'humanité depuis ses premiers balbutiements, et
dans lequel Jung est allé fouiller tout au long de sa vie. Le texte
qu'il a écrit vers la fin de sa vie est d'une actualité brûlante. C'est
un chemin très neptunien qu'il nous invite à emprunter, un chemin très
difficile que l'on ne peut pratiquer sans rigueur ni sérieux. Avec
Saturne dans le signe du Verseau, maître de son ascendant Capricorne,
Jung a pu se consacrer avec
persévérance à cette recherche.
Lorsqu'on étudie
lethème
astral de Jung,on
retrouve très bien ses propos dans le
texte qui suit :
"Il ne saurait y avoir de
réponse positive au problème de l'expérience
religieuse que si l'individu est désireux de satisfaire à l'exigence
d'un examen
rigoureux de lui-même, et aux nécessités, aux cheminements de la
connaissance de soi-même. S'il met son projet à exécution, projet qui
pour être difficile n'en est pas moins à porté de sa volonté, non
seulement il découvrira chemin faisant des parties importantes d'une
vérité sur lui-même et qui le concernent en premier chef, mais en outre
il récoltera un avantage psychologique considérable : car cela voudra
dire qu'il a réussi à s'accorder une attention sérieuse et un intérêt
participant vraiment à ce qui est lui-même. Ce faisant, il a en quelque
sorte contresigné face à lui-même une déclaration de dignité humaine et
accompli au moins un premier pas dans le sens d'un rapprochement avec
le soubassement de sa conscience, l'inconscient,
qui est pour nous la première source tangible de l'expérience
religieuse. Ceci ne veut dire en aucune manière que ce qui est désigné
comme l'inconscient soit pour ainsi dire identifique à Dieu ou encore
que l'inconscient se substitue à Dieu. L'inconscient est le milieu d'où
semble à nos yeux jaillir l'expérience religieuse.
Quelle est la cause
plus lointaine de telles expériences ?
Prétendre apporter
réponse à cette question dépasse les possibilités
humaines de connaissance. La connaissance de Dieu est et demeure un
problème transcendantal.
L'homme religieux
jouit d'un immense avantage en ce qu'il peut apporter
une réponse à la question actuelle qui plane menaçante sur nous : il a
au moins une idée claire du fondement de la légitimation de son
existence subjective dans sa relation à "Dieu". J'écris "Dieu" entre
guillemets pour indiquer par là que j'entends
une représentation anthropomorphe, dont la dynamique et la
symbolique
nous sont transmises par ce milieu qu'est la psyché inconsciente.
N'importe qui, pour
peu qu'il le veuille, peut au moins se rapprocher
du lieu où jaillissent et se créent de telles expériences, qu'il croie
en Dieu ou qu'il n'y croie point. Sans cette marche d'approche, il est
tout à fait exceptionnel qu'il parvienne à l'une de ces conversions
extraordinaires dont l'expérience de Paul à Damas est le prototype. Il
n'est plus nécessaire de prouver qu'il est des vécus qui sont des
expériences religieuses.
Mais
est-ce que le
fondement de ces
expériences est bien toujours réellement ce que la métaphysique ou la
théologie humaine appellent Dieux ou les Dieux ?
Voilà ce qui restera l'objet d'un éternel point d'interrogation. Mais
cette question au fond est vaine et comporte d'elle-même sa réponse, de
par la numinosité subjectivement bouleversante de l'évènement vécu.
Quiconque a vécu une telle expérience est comme "saisi" par elle et
c'est pourquoi il n'est pas en état de s'abandonner à des
considérations stériles d'ordre métaphysique ou de l'ordre de la
théorie de la connaissance. Le sujet est possédé par l'expérience qu'il
vient de vivre et n'a que faire des considérants. Ce qu'un être ressent
comme ce qu'il y a de plus sûr, de plus immédiat, entraine avec soi sa
propre évidence et n'a que faire de preuves anthropomorphes.
En présence de
l'incertitude psychologique, et humaine générale et des
préjugés qui entourent la psyché, c'est un très grand malheur que
l'expérience vécue individuelle, qui seule fonde l'existence de
l'individu, semble puiser son origine dans un milieu, l'inconscient,
qui est soumis à de tels préjugés. Tout de suite s'élève le murmure du
doute ; "que peut-il venir de bon de Nazareth ?". Au mieux, dans la
mesure même où l'on dépasse la conception courante de ne voir dans
l'inconscient qu'une espèce de dépotoir, tout juste bon à recevoir les
détritus qui tombent du conscient, on ne voit dans cet inconscient, au
mieux de sa promotion, qu'une instance "de nature animale".
En réalité et par
définition, l'inconscient est d'une complexion et
d'une extension indéfinie, et c'est pourquoi les appréciations,
valorisantes ou péjoratives, sont sans objet et peuvent être écartées,
en tant que vain préjugé, d'un revers de main. Toujours est-il que de
tels jugements péjoratifs sur la
"nature animale" ont une résonance burlesque dans la
bouche de chrétiens, dont le seigneur est né sur la paille
d'une
étable et parmi les animaux domestiques. Il aurait mieux convenu au
goût de la plupart qu'il naisse dans le Temple. De façon analogue,
l'homme occidental "massifié"' attend, escompte la rencontre de
l'expérience vécue éclairante, numineuse, d'un rassemblement de masse
qui constitue à ses yeux un décor autrement plus imposant qu'une âme
humaine individuelle. Et même les chrétiens faisant cas de l'Eglise
partagent cette désastreuse illusion.
La psychologie a
établi que les processus inconscients possèdent une
signification éminente pour la formation et l'explosion des expériences
religieuses vécues. Cette donnée irréversiblement établie, est
extrêmement impopulaire, aussi bien à droite qu'à gauche. Pour le point
de vue de la droite, ce qu'il a de décisif c'est la Révélation
historique qui a fondu sur l'homme de l'extérieur. Pour la gauche, cela
représente une absurdité, d'autant plus qu'il n'y a pas de fonction
religieuse dans l'homme, à moins que celui-ci n'adhère et ne croie à
la doctrine du parti, au bénéfice de laquelle on revalorise soudain
l'intensité la plus brûlante de la foi. A ceci s'ajoute l'incohérence
des différentes confessions, qui affirment chacune à leur manière des
choses totalement différentes et dont chacune prétend pourtant à la
vérité absolue. Or, dorénavant, nous vivons dans un monde dans lequel
les distances se mesurent par unité-heure, et non plus comme autrefois
par des semaines et des mois. Les peuples exotiques ont cessé d'être
des objets de curiosité que les badauds allaient regarder avec surprise
dans les musées ethnographiques. Ils sont devenus nos voisins et ce qui
hier encore était la prérogative des ethnologues devient pour notre
époque un problème politique, social et psychologique. Déjà les façons
de voir, les sphères philosophiques commencent à se compénétrer, et les
temps ne sont plus très éloignés où la question de la compréhension
mutuelle dans ce domaine deviendra aigüe. Mais une compréhension
mutuelle est naturellement impossible sans une explication réciproque
et en profondeur des perspectives de l'autre.
Les efforts de
perspicacité nécessaires de part et d'autre, ne seront pas
sans
avoir des répercussions réciproques. L'histoire passera certainement
outre aux efforts de ceux qui se sentent appelés à s'arc-bouter contre
ce développement inévitable, aussi souhaitable et psychologiquement
nécessaire qu'il soit de maintenir ce qu'il y a d'essentiel et de bon
dans sa propre tradition. En dépit de toutes les diversités, l'unité
des hommes se manifestera impérieusement. C'est sur cette carte qu'a
déjà misé la doctrine marxiste, alors que l'occident démocratique
espère encore s'en tirer avec de la technique et de l'aide
économique.Le communisme n'a pas négligé l'énorme importance attachée à
la conception du monde et des choses et à l'universalité des principes
fondamentaux. Sur ce plan, un affaiblissement des conceptions
universelles est un grand danger, que les peuples exotiques partagent
avec nous, et ils sont sur ce point aussi vulnérables que nous.
Il
y a lieu de prévoir
et de craindre
que le facteur psychologique, tellement sous-estimé, ne se venge
cruellement. Il serait vraiment temps de rattraper notre retard à ce
sujet et de tenter de nous débarrasser de nos façons d'être arriérées.
Pour commencer, les
choses ont peu de chance d'aller au-delà d'un pieux
désir, car l'exigence et la nécessité d'une connaissance de soi-même
est impopulaire à l'extrême, elle a des relents d'idéalisme surannée,
elle pue la morale, et tourne en définitive autour de cette ombre
psychologique, que l'on s'efforce de nier et dont, à tout le moins,
personne ne parle volontiers.
La tâche qui s'impose
à notre époque est tellement difficile qu'elle
semble quasiment impossible. Elle pose des exigences suprêmes à tout ce
qui est instance de responsabilité dans l'être et ce n'est qu'à ce prix
que celui-ci évitera une nouvelle "trahison des clercs". Cette exigence
s'adresse en première ligne aux dirigeants, aux êtres d'influence et
qui possèdent assez d'intelligence pour comprendre et embrasser la
situation de notre monde. On pourrait attendre d'eux qu'ils se mettent
à l'oeuvre avec leur conscience. Mais comme par-delà la compréhension
purement intellectuelle il s'agit de tirer des conséquences sur le plan
moral, nous n'avons malheureusement sur ce chapitre aucun motif de nous
bercer d'optimisme. Comme on le sait, la nature n'est pas tellement
prodigue de ses dons, et il est rare qu'elle ajoute à une haute
intelligence les
dons du coeur.
En règle générale, là où l'un est
donné, l'autre manque, et là où une difficulté s'est développée, c'est
le plus souvent au détriment de toutes les autres.
Dans cette
perspective, un point particulièrement délicat est la
disharmonie qui existe souvent entre le secteur de la pensée et celui
du sentiment chez un être ; car l'expérience a montré que ces fonctions
s'entendent mal et se contrecarrent. Il serait vain de
présenter
et de formuler la tâche qui incombe à notre temps et au monde sous
forme d'exigence morale. On peut tout au plus s'efforcer de faire voir
et sentir la situation psychologique du monde de telle sorte que les
myopes eux-mêmes finissent par la voir, et de prononcer des paroles, de
lancer dans l'arène des notions que les sourds eux-mêmes
finiront
par entendre. On peut et il faut garder l'espoir qu'il existe des êtres
compréhensifs et de bonne volonté, et il ne faut donc pas se lasser de
répéter les idées et les notions dont le besoin se fait sentir.
Après
tout, pourquoi le
vérité ne
pourrait-elle pas, elle aussi, se répandre aussi bien que le mensonge
vulgaire ? Cette perspective me donne l'élan nécessaire pour désigner
au lecteur la difficulté la plus grande qui l'attend encore: les
atrocités dont les Etats dictatoriaux ont ces derniers temps gratifié
l'humanité ne constituent que le sommet de toutes ces abominations dont
nos ancêtres, des plus récents aux plus reculés, se sont rendus
coupables. A commencer par toutes les cruautés et tous les bains de
sang à travers lesquels s'entrechoquèrent les peuples chrétiens et dont
l'histoire européenne déborde, l'Européen doit encore assumer la
responsabilité de tous les crimes commis sur les peuples exotiques lors
de la fondation des colonies. A ce point de vue, nous sommes on ne peut
plus lourdement chargés. Il en découle une image de l'ombre générale de
l'humanité qui est telle qu'on ne saurait en peindre de plus sombre.
Le mal
qui se manifeste dans l'homme, qui se réalise par
lui, et
qui indubitablement l'habite, atteint des dimensions on ne saurait plus
grandes, en face desquelles on a presque l'impression d'un euphémisme
lorsque l'Eglise parle du péché originel, que l'on fait remonter à
l'incartade relativement innocente d'Adam. Cette tare de l'homme, sa
tendance au mal est infiniment plus lourde qu'il n'y paraît, et c'est
bien à tort qu'elle est sous-estimée. Comme on se complaît en général à
l'opinion que l'homme est ce que son conscient sait de lui-même, on se
prend pour inoffensif, ajoutant ainsi à la méchanceté une stupidité qui
lui correspond. Certes les hommes ne nient pas et ne peuvent nier qu'il
s'est passé des choses épouvantables et qu'il s'en passe encore. Mais à
les entendre, se
sont toujours les autres qui en sont les auteurs.
Et
dans la mesure où de
telles
atrocités appartiennent au passé plus ou moins proche ou plus ou moins
lointain, elles sont englouties rapidement et avec soulagement dans la
mer de l'oubli,
ce qui
permet le retour de cet espèce d'état flottant dans le rêve, qu'on
appelle "état normal".
A l'opposé de ce
dernier figure, en un contraste dramatique et
effrayant, le fait que rien de ce qui s'est passé n'est définitivement
disparu et que rien n'est rétabli, reconstitué, réparé. Le mal, la
culpabilité, la profonde angoisse de la conscience, et les
pressentiments les plus sombres, sont là, aux aguets, s'imposant aux
yeux qui veulent tant soit peu les voir : ce
sont des hommes qui
ont
commis cela; or je suis un homme, qui participe de la nature humaine;
par conséquent je suis un être qui est coresponsable et qui possède
dans son essence, inexpugnables et immuables, la capacité et la
tendance
à commettre de pareilles actions à tous moments. Même si, dans une
perspective juridique, nous n'étions pas concernés, nous n'étions pas
présents pour y participer, nous n'en sommes pas moins, en fonction de
notre nature d'homme, des criminels en puissance. Il ne nous a manqué,
en réalité, que l'occasion propice, qui aurait fait que nous aurions
été entraînés, nous aussi, dans le tourbillon infernal.
Il n'est d'être qui se
situe ou qui puisse se situer en dehors
de
l'ombre collective de l'humanité et de sa noirceur. Que l'action
abominable ait été commise il y a des générations, ,ou
qu'elle se
produise aujourd'hui, elle reste le symptôme d'une disposition existant
partout et toujours, et,
c'est pourquoi il est prudent
de savoir que l'on possède "une imagination dans le mal", car
seul
l'imbécile croit pouvoir se permettre d'ignorer et de négliger les
conditionnements de sa propre nature. Or,
précisément, rien n'est aussi redoutable que cette négligence;
ce
refus de voir et de s'avouer sa tendance au mal est le meilleur moyen
de la transformer en un instrument aveugle, précisément asservi à ce
mal. En cas de choléra, il ne sert à rien au malade et à son entourage
d'être inconscient de la contagiosité de la maladie; et de même, pour
le problème qui nous agite, de donner des airs d'insouciance
inoffensive et de naïveté ne sert à rien. Au contraire même, ils
séduisent et incitent à projeter dans l' "autre" le propre mal que l'on
ne veut pas voir en soi.
Ce mécanisme renforce de la façon la plus
efficace la position adverse et la stigmatise en tant qu'adversaire,
car la projection de la méchanceté entraîne également dans son sillage
la peur-
cette peur que nous
ressentons secrètement et à notre corps défendant à l'adresse de notre
propre méchanceté - et qui devient ainsi la peur de l'adversaire, ce
qui multiplie encore le poids des menaces qu'il
nous semble faire peser sur nous. En outre, ce processus
projectif
entraînant la perte de la lucidité et de la perspicacité à l'adresse de
nous-mêmes, nous enlève la faculté de considérer le problème, de
"commencer" avec le mal, de nous situer en face des problèmes qu'il
pose. Nous rencontrons ici un des préjudices essentiels de la tradition
chrétienne, qui a constitué un énorme handicap pour la politique de
l'Occident. Car il faut éviter le mal, et, si possible, ne pas
le
toucher et ne pas y faire allusion. De par cette attitude, le mal c'est
l'intouchable qui porte malheur, le tabou dont on se détourne. Cette
attitude apotropéique à l'adresse du mal et les détours que l'on fait
pour l'éviter (même lorsqu'on reconnaît ce qu'une telle attitude a
d'artificiel et de vain) retrouvent une tendance propre déjà à
l'homme primitif, qui témoigne d'une propension à contourner le mal, à
en nier l'existence et la vérité et si possible à le situer par-delà
quelque frontière, à l'image du bouc émissaire de l'Ancien Testament,
où l'on cherchait à repousser le mal dans le désert.
Quand on ne peut plus
se fermer, à force d'évidence, à la prise de
conscience que le mal a son siège dans la nature humaine elle-même,
sans que l'homme l'y ait jamais mis, élu ni choisi, c'est à dire sans
que l'homme y soit pour quelque chose, le mal peut alors pénétrer sur
la scène psychologique comme partenaire d'égale dignité au bien.
L'acceptation de cette donnée achemine de façon immédiate vers un
dualisme psychologique qui est déjà inconsciemment préfiguré et
anticipé par la scission politique du monde et par la dissociation
encore plus inconsciente de l'homme moderne lui-même. Ce n'est que
l'acceptation de cette donnée qui crée le dualisme; celui-ci
est déjà
présent et en en prenant conscience nous ne faisons que constater que
notre être dans le monde est dissocié. La pensée que nous devons porter
personnellement le poids d'une telle responsabilité et d'une telle
culpabilité est intolérable. C'est pourquoi l'on préfère localiser ce
mal en le voyant incarné par tels ou tels criminels ou par tel groupe
de criminels et soi-même s'en laver les mains et faire comme si on
ignorait la potentialité générale du mal. Mais à la longue, ces allures
d'insouciance inoffensive ne sauraient être maintenues. Car la source
du mal réside, comme l'expérience le montre, dans l'homme, donnée qu'il
faut accepter telle quelle si l'on ne veut pas en être réduit à
postuler, en accord avec la matière chrétienne d'envisager le monde, un
principe métaphysique du mal.
Cette dernière
conception a le gros avantage de décharger la conscience
humaine d'une responsabilité par trop lourde, l'attribuant ainsi au
diable, ce qui
revient
à apprécier,
de façon psychologiquement juste, le fait que l'homme est bien plus
victime de sa constitution psychique qu'auteur arbitraire de celle-ci.
Si l'on prend en considération que le mal qu'a commis notre époque
éclipse ce qui depuis des temps immémoriaux a torturé l'humanité, il
faut bien finir par se poser la question de savoir d'où provient -
qu'en dépit de tous les progrès bienfaisants faits dans tous les
domaines, depuis la jurisprudence jusqu'à la technique en passant par
la médecine, et qu'en dépit de tous les soins apportés à la santé et à
la sauvegarde de la vie - on ait inventé des moyens de
destruction monstrueux qui pourraient facilement mener à
l'extermination de l'humanité.
On ne saurait
prétendre que les représentants de la physique moderne
soient tous, en bloc et en détail, des criminels arguant du fait que ce
sont leurs efforts qui ont amené à maturité la bombe à hydrogène, cette
fleur très spéciale de l'ingéniosité humaine. Les sommes incroyables,
la masse de travail intellectuel qu'a exigé l'édification de la
physique nucléaire, a été fournie par des hommes qui ont consacré les
plus grands efforts et le plus grand dévouement à leur tâche, et qui,
par conséquent, en considération de leur performance morale auraient
tout aussi bien mérité d'être les créateurs d'une découverte
bienfaisante et utile pour l'humanité. Certes, le premier pas sur le
chemin d'une découverte importante semble relever d'une décision
volontaire et consciente ; il n'en demeure pas moins ici comme ailleurs
l'idée qui vient spontanément à l'esprit, l'intuition créatrice, joue
un rôle important.
C'est à dire en d'autres termes, que l'inconscient a
coopéré et a même apporté des contributions décisives. Ce n'est donc
pas seulement l'effort conscient qui est responsable du résultat;
l'inconscient s'en mêle, à un moment quelconque, manifestant des buts
et des intentions difficilement discernables. Lorsque l'inconscient met
une arme dans la main d'un individu, il semble viser à une action
violente d'une nature quelconque. La recherche de la vérité constitue
l'intention la plus haute de la science et, lorsque dans la poursuite
de cette soif de lumière se révèle un immense danger, on a bien plus
l'impression d'une fatalité que d'une intention. Non que l'homme
d'aujourd'hui soit animé de plus de méchanceté que l'homme de
l'Antiquité ou que le primitif. La seule différence, c'est qu'il a en
main des moyens incomparablement plus efficaces pour agir selon ses
mauvais penchants. Autant sa conscience s'est élargie et différenciée,
autant sa structure normale est demeurée stationnaire et arriérée. Voilà
le grand problème qui s'impose aujourd'hui : la
raison seule ne
suffit plus.
Certes il serait à la
mesure de la raison de ne pas entreprendre
d'expériences d'une portée si diabolique, telles que des
explosions
nucléaires, ne serait-ce qu'à cause de leur danger. Mais la peur du mal
que l'on ne discerne pas dans son propre sein, mais dont on croit
l'autre d'autant plus capable, paralyse la raison, bien que l'on sache
que l'usage de ces armes signifierait la fin du monde actuel des
hommes. la peur de la destruction générale nous épargnera peut-être le
pire; mais sa seule possibilité plane et planera, telles de noires
nuées, sur notre existence, tant que n'aura pas été trouvé un pont qui
permette de surmonter et de franchir la dissociation politique du monde
et de l'âme. Ce pont devra être aussi sûr que l'est l'existence de la
bombe à hydrogène. Si
l'on pouvait
voir naître une conscience générale du fait que tout ce qui dans le
monde sépare et dissocie repose sur la séparation et l'opposition
des contraires dans
l'âme elle-même, on saurait où et dans
quel sens diriger son effort. Par contre, si les
mouvements de l'âme individuelle - qui, dans ce qu'ils ont de
plus ténu et de plus personnel, ont pu être trop longtemps considérés
comme dépourvus de signification - restent aussi inconscients et
inconnus que jusqu'à présent, ils continueront à créer par sommation
des forces considérables qui suscitent des groupements de puissance et
des mouvements de masse, échappant à tout contrôle raisonnable et ne
pouvant plus être acheminés par qui que ce soit vers une solution
heureuse. C'est pourquoi tous les efforts directs entrepris pour
arriver à bonne fin ne sont que
mirages et faux-fuyants, qui se jouent dans l'arène publique en des
combats dont les gladiateurs, pris à leur propre jeux, semblent entre
tous être possédés par les chimères qu'ils incarnent.
Ainsi le facteur décisif
gît dans l'homme qui reste désemparé et sans réponse en face de son
dualisme.
Cet abîme, du fait des derniers évènement de l'histoire mondiale, s'est
soudain ouvert sous ses pas, après que l'humanité a vécu et végété de
nombreux siècles dans un état d'esprit qui présupposait comme évident
qu'un Dieu un avait créé l'homme à son image. En fait, on peut dire
que
l'on est encore aujourd'hui inconscient du fait que chaque individu est
une pierre dans la construction des organismes politiques, et même des
structures qui se dressent à l'échelle mondiale, et que par conséquent
chacun participe originairement à leur conflit. Chacun
sait d'une part
qu'il est une particule insignifiante, victime impuissante des forces
incontrôlables, et d'autre part chacun porte en lui une ombre et un
partenaire dangereux qui, tel un compère invisible, se trouve imbriqué
dans les sombres agissements des monstres politiques. Il appartient à
la nature des organismes politiques de toujours voir le mal chez les
autres, de même que l'individu n'arrive pas à se dépêtrer de la
tendance quasiment inexpugnable à tenter de se débarrasser de
tout ce
qu'il ignore et veut ignorer de lui-même en l'attribuant à un autre.
Rien n'a une action
aussi dissolvante
et aliénante au sein de la société que précisément cette sorte de
commodité morale, d'irresponsabilité dont nous venons de parler, et
rien ne favorise autant la compréhension et le rapprochement que le
retrait réciproque des projections.
Mais ces corrections nécessaires exigent en premier lieu l'autocritique
de l'individu,
car il serait totalement vain de penser que c'est par la voie du
commandement impératif que l'on peut amener un être à prendre
conscience de ses projections. Car l'autre ne reconnaît ni
ne discerne
ses projections en tant que telles tout aussi peu couramment qu'on le
fait soi-même. On ne peut dépister et reconnaître le préjugé et
l'illusion que si, partant d'un savoir et d'une
position psychologique
générale, on est prêt au sens le plus vaste à douter de l'exactitude
absolue de ses suppositions et à les comparer une à une, avec soin et
conscience, avec les données objectives. Il est plaisant de voir que
"l'autocritique" est aussi un concept en usage et en honneur dans les
Etats d'orientation marxiste. Mais cette autocritique est à l'opposé
de notre conception, car elle est esclave de la raison d'Etat. Elle
doit servir à l'Etat et non à la vérité et à la justice dans les
relations des hommes entre eux. La massification ne vise nullement à
favoriser la compréhension réciproque et les relations entre les
hommes. Elle recherche bien plus leur atomisation, je veux dire
l'isolement psychique de l'individu. Plus les individus sont désagrégés
les uns par rapport aux autres, moins ils sont enracinés dans des
relations stables, plus ils sont susceptibles de se raccrocher à
l'organisation étatique, plus celle-ci peut se densifier, et vice versa.
Il est hors de doute que, dans le monde démocratique également, la
distance d'homme à homme est beaucoup plus grande qu'il ne serait
utile pour la prospérité publique, voire même pour les besoins de l'âme
et de son développement. Certes il y a pas mal de démarches
entreprises pour surmonter par l'effort idéaliste de
quelques-uns des
oppositions et des failles par trop évidentes et gênantes. A
cette fin
on fait appel à l'idéalisme, à l'enthousiasme et à la conscience
éthique. mais il est caractéristique que, chemin faisant, on oublie la
nécessité de l'autocritique préalable : on oublie de répondre à la
question de savoir qui émet cet exigence d'idéalisme. Ne s'agit-il pas
d'aventure d'un de ces êtres qui s'efforcent de sauter par-dessus leur
ombre pour se précipiter avec avidité sur un programme idéaliste, dont
ils se promettent un alibi bienvenu à l'adresse de leur ombre
personnelle ? Combien de respectabilité et d'apparente moralité cache
là-derrière, à l'abri de cette draperie trompeuse, un monde
d'obscurités intérieures qui possède un tout autre visage !
On
voudrait être d'abord assuré que celui qui prône un idéalisme participe
lui-même à cet idéal afin que ses mots et ses actes jouissent plus de
l'être que de l'apparence. Or être véritablement l'homme de son idéal
est rarement possible et c'est pourquoi il s'agit là d'une postulation
qui reste en règle générale inaccomplie. Les hommes ont en général un
flair très fin en la matière et c'est pourquoi tous les idéalismes
prêchés avec ostentation sonnent un peu creux et ne deviennent
acceptables que lorsque l'on tient compte aussi de leur contraire. Sans ce dernier, sans le
contrepoids des contraires, l'idéalisme dépasse les frontières et les
capacités de l'homme
; à force de manquer d'humour il devient peu vraisemblable et dégénère
en bluff, même s'il est animé des meilleures intentions. Mais bluffer
autrui c'est le violenter illégitimement, c'est le violer et
l'opprimer et cela ne peut jamais finir bien.
Connaître et accepter son ombre achemine vers cette modestie qui est
nécessaire à la reconnaissance de ses imperfections. mais précisément
c'est cela, l'acceptation consciente de ses petitesses et la prise en
considération de ses mesquineries personnelles et de ses imperfections,
qui est l'attitude la plus nécessaire chaque fois qu'il s'agit
d'établir une relation humaine. Car la relation humaine ne repose pas
sur la perfection et la différenciation qui mettent en relief les
différences et les oppositions ; elle repose bien plus
sur ce qui dans l'être est imparfait,
faible, ce qui a besoin de secours et de soutien, sur tous ces éléments
qui sont le fondement et le motif de la dépendance. Ce qui est parfait
n'a que faire de l'autre alors que ce qui est faible cherche un
adossement et, par conséquent, n'oppose rien au partenaire qui le
coince dans une position subordonnée ou qui l'humilie par une
supériorité morale. Cette dernière éventualité ne se produit que trop
facilement lorsque des idéaux altiers jouent un rôle de premier plan.
Ce serait une erreur de ne voir dans des réflexions de cette nature que
des sentimentalités superfétatoires. La question des relations humaines
et des rapports inter-humains dans le cadre de notre société est devenue
un souci urgent en face de l'atomisation des hommes "massifiés",
simplement entassés les uns sur les autres, et dont les interrelations
personnelles sont minées par une méfiance généralisée. Lorsque les
fluctuations du droit, l'espionnage policier et la terreur sont à
l'oeuvre, les hommes sont acculés à l'isolement et à n'être que des
parcelles menacées, ce qui cadre avec le but et l'intention de
l'Etat
dictatorial, qui repose sur l'amoncellement aussi massif que possible
d'unités sociales impuissantes. En face de ce danger, la société libre
a
besoin d'un liant de nature affective, comme en sont un, par exemple,
la charité ou l'amour chrétien du prochain. Mais précisément c'est
l'amour du prochain, l'amour de l'être proche, qui subit les plus
grands dommages du fait des projections et du manque de compréhension
qu'elles entraînent. C'est pourquoi il est du suprême intérêt de la
société libre qu'elle se soucie, grâce à une compréhension profonde de
la situation psychologique, de la question des relations humaines.
C'est de la relation d'homme à homme que dépend sa cohésion et par
conséquent aussi sa force. Là où cesse l'amour, commence la puissance,
l'emprise violente et la terreur.
Ces relations ne sont pas faites pour en appeler à l'idéalisme. Je
tente seulement d'apporter une conscience claire de la situation
psychologique. Car je ne sais ce qui est le plus faible : si c'est
l'idéalisme ou la perspicacité du public. Tout ce que je sais, c'est
qu'il faut du temps pour amener des modifications psychiques dont on
pourra escompter une certaine stabilité.
Une connaissance, une
compréhension
qui pointent, s'esquissent et vont lentement leur chemin me semble
promettre une efficacité plus durable qu'un idéalisme qui ne jette sa
flamme que pour s'éteindre.
(Carl
G. Jung -
Chapitre VI de "Présent et avenir" Editions Livre de poche.)