"Apprenez vos théories aussi bien que vous
le pouvez puis mettez les de côté quand vous entrez en contact avec le
vivant miracle de l'âme humaine." C.G Jung
"Il serait assez intéressant, et cela en
vaudrait le peine, de pouvoir participer à un esprit fondamentalement
libre qui ne se laisse pas torturer, qui ne connaisse aucune barrière,
qui voit les choses telles qu'elles sont et qui constate qu'un
intervalle de temps sépare l'homme de la nature et des autres êtres
humains. Un esprit qui voit le sens effrayant du temps et de l'espace
et qui connaît ce qu'est réellement la qualité de l'amour. Si nous
pouvions tous y prendre part - non pas intellectuellement, ni d'une
façon sophistiquée, philosophique ou métaphysique, mais y prendre
réellement part - si nous le pouvions, je crois que tous nos problèmes
prendraient fin. Mais pour partager cela avec les autres, il faut
d'abord l'avoir soi-même, et quand vous l'avez, vous l'avez en
abondance. Et la où existe cette abondance, le un et le multiple sont
une seule et même chose, comme un arbre où les feuilles sont
innombrables, mais où chaque feuille est parfaite et fait partie de
l'arbre tout entier.
Si
nous pouvions, ce soir, partager cette
qualité, non pas avec l'orateur, mais en la vivant nous-mêmes pour la
partager ensuite ! Mais, dès lors, la question du partage ne
surgirait même pas. C'est comme une fleur qui répand son parfum, elle
ne le partage pas, mais elle est là, et tout passant peut en jouir.
Qu'un
homme soit tout près du jardin ou
très éloigné, pour la fleur c'est pareil, parce que le parfum abonde en
elle et se répand pour la joie de tous. Si nous pouvons la saisir,
c'est véritablement une fleur merveilleuse. Elle paraît mystérieuse
parce que nous sommes encombrés d'émotions, de sentiments, et le
sentiment pure émotivité est bien peu de chose ; on peut
éprouver de la sympathie, on peut être généreux, bienfaisant, doux,
d'une politesse exquise, mais la qualité dont je parle est en dehors de
tout cela.
Et
ne vous demandez-vous pas (non pas en
termes abstraits, ni selon ce que peut fournir un système, une
philosophie ou un gourou), ne vous demandez-vous pas pourquoi les êtres
humains ignorent cette chose. Ils engendrent des enfants, ont une vie
sexuelle, ils sont tendres, ils ont le sentiment de partager quelque
chose en compagnie d'autres hommes, un certain métier, une certaine
camaraderie, mais cette chose là pourquoi ne l'avons nous
pas ? Parce que quand elle existe, alors tous les problèmes,
quels qu'ils soient, prennent fin.
Et
ne vous êtes vous pas demandé
incidemment, par moments, quand vous vous promenez tout seul dans une
rue boueuse, que vous êtes assis dans un autobus, quand vous passez vos
vacances au bord de la mer, ou dans un bois où il y a beaucoup
d'arbres, d'oiseaux, de ruisseaux, d'animaux sauvages, ne vous est-il
jamais arrivé de vous demander pourquoi l'homme, qui vit depuis des
milliers d'années, ne possède-t-il pas cette chose, cette fleur
extraordinaire qui ne se fane jamais ?
Si
vous vous êtes posé cette question,
même par une curiosité passagère, vous avez dû en sentir passer un
soupçon, une suggestion de réponse. Mais vous n'avez probablement
jamais posé la question. Nous vivons d'une vie si monotone, si morne,
si négligée, toujours dans le champ de nos propres problèmes, de nos
anxiétés, que nous ne nous la sommes même jamais posée.
Et
si nous nous l'étions posée (comme nous
allons le faire maintenant ici sous cet arbre et pendant cette soirée
si calme, écoutant le bruit des corbeaux), je me demande quelle serait
notre réponse. Qu'est-ce que chacun de nous donnerait honnêtement comme
réponse directe sans détour, sans équivoque, quelle serait la réponse
si vous vous posiez la question ?
Pourquoi
passons nous par tous ces moments
affreux, taraudés par tant de problèmes, avec toutes nos peurs qui
s'accumulent, et cette chose unique semble passer son chemin et ne
trouve chez nous aucune place ? Et si vous vous posez cette
question : "pourquoi n'avons-nous pas trouvé cette
qualité ?"
Je
me demande quelle serait votre réponse.
Elle dépendrait de votre propre intensité quand vous la posez, et de
son urgence, et nous ne le sommes pas parce que nous n'avons pas
d'énergie. Pour regarder n'importe quoi, un oiseau, un corbeau perché
sur une branche lissant ses plumes, pour regarder cela avec tout votre
être, tous vos yeux, vos oreilles, vos nerfs, votre esprit et votre
coeur, pour regarder tout cela d'une façon complète, il vous faut de
l'énergie ; non pas cette énergie triviale issue d'un esprit
dissipée qui a lutté, qui se torture, chargés de fardeaux innombrables.
Et cette existence torturée, cet épouvantable fardeau est le sort de
99% des esprits humains. Par conséquent, ils ne disposent d'aucune
énergie, l'énergie étant la passion. Sans passion vous ne pouvez
découvrir aucune vérité. Ce mot passion vient d'un mot latin signifiant
souffrance, et dérive aussi d'un mot grec, et ainsi de suite ;
et à partir de cette idée de la souffrance, toute la chrétienté a une
vénération pour la souffrance, elle ignore la passion. Ils ont donné au
mot "passion", un sens particulier. Je ne sais pas quel sens vous lui
donnez, ce sentiment de passion complète animée d'une sorte de force
mystérieuse, de totale énergie, cette passion qui ne recèle aucun
besoin caché.
Et
si nous nous demandions non pas
seulement par curiosité, mais avec toute la passion que nous avons,
quelle serait la réponse ?
Mais
il est probable que la passion vous
fait peur, car, pour la plupart des gens, la passion est désir. Elle
découle de la vie sexuelle et tout ce qui l'accompagne.
Ou
encore elle peut être liée au sentiment
qui nous vient d'une identification avec la patrie à laquelle nous
appartenons, ou nous connaissons la passion qu'inspire certain Dieu
minable élaboré par la main ou l'esprit de l'homme ; et ainsi
pour vous, la passion est plutôt une chose redoutable, car si jamais
nous l'éprouvons, nous ne savons pas où elle va nous entraîner. Nous
avons donc soin de la canaliser, de l'entourer de garde-fous, de
concepts philosophiques, d'idéaux, de sorte que l'énergie qui est
nécessaire si l'on veut résoudre cette question extraordinaire (et elle
est extraordinaire si l'on veut se la poser honnêtement et
directement) : pourquoi, nous, êtres humains, qui vivons dans
notre famille avec nos enfants, entourés de tous les remous et toute la
violence du monde, pourquoi, cette énergie nous fait-elle
défaut ? Je me demande si ce n'est pas parce que nous n'avons
pas vraiment envie de découvrir ?
Parce que, pour découvrir
n'importe quoi, il faut qu'il y ait liberté Pour découvrir ce que je
pense, ce que je sens, quels sont mes mobiles, pour découvrir et non
pas simplement m'analyser intellectuellement, pour découvrir, il faut
que j'aie la liberté de regarder. Pour regarder cet arbre vraiment, il
vous faut être affranchi de tous vos soucis, de votre anxiété, de votre
sentiment de culpabilité. Pour regarder vraiment, il faut être
affranchi du connu ; La liberté est la qualité de l'esprit qui
ne peut pas être obtenu par sacrifice ou renonciation. Suivez-vous tout
ceci ou est-ce que je parle au bénéfice du vent et des
arbres ?
La
liberté est la qualité de l'esprit qui
est absolument nécessaire quand il s'agit de voir. Ce n'est pas liberté
de quelque chose. Si vous êtes libre de quelque chose, ce n'est pas la
liberté, c'est une réaction. Si vous fumez et renoncez à fumer, et vous
dites alors : "je suis libre", vous n'êtes pas tellement
libre, mais vous êtes libéré de cette habitude particulière. La liberté
intéresse tout le mécanisme de la création des habitudes, et pour
comprendre ce problème de la création des habitudes, il faut être libre
d'observer, de regarder ce mécanisme.
Nous
avons peut-être peur de cette liberté
là aussi, et c'est pourquoi nous la reléguons dans un paradis
hypothétique. C'est donc peut-être la peur qui est cause de ce que nous
n'avons pas cette énergie dans la passion, énergie qui nous permettrait
de découvrir pour nous-mêmes pourquoi cette qualité d'amour nous fait
défaut. Nous avons bien d'autres choses : l'avidité, l'envie,
la superstition, la peur, la laideur d'une vie triviale, la routine
consistant à aller au bureau tous les jours pendant les 40 ou 50 années
à venir, ce n'est pas dire qu'il ne faut pas aller au bureau,
malheureusement on y est contraint, mais cela devient une routine et
cette routine, cet éternel bureau, cet accomplissement de la même tâche
jour après jour, interminablement, pendant 40 années, moule l'esprit,
mais dans une seule direction.
Il
se pourrait, et c'est probablement
vrai, que chacun de nous a tellement peur de la vie parce que, faute de
comprendre tout ce processus, nous ne pouvons absolument pas comprendre
ce que c'est que de ne pas vivre. Vous voyez ? Ce que nous
nommons vivre, l'ennui quotidien, la lutte, le conflit journalier qui
se produisent en soi-même et en dehors de soi-même, les exigences
cachées, les besoins dissimulés, les ambitions, les cruautés et ce
fardeau énorme de souffrances conscientes et inconscientes, voilà ce
que nous appelons vivre, n'est-ce-pas ?
Nous pouvons chercher
à fuir tout cela, à fréquenter le temple ou le cercle, ou suivre un
nouveau "gourou, ou devenir un hippie, ou nous mettre à boire ou faire
partie d'une société quelconque qui nous promet quelque chose,
n'importe quoi, tout cela pour nous évader. C'est la peur qui constitue
le principal problème de ce que nous appelons vivre, la peur de ne pas
exister, d'être lié avec toute la souffrance qui s'ensuit, comment se
détacher, savoir s'il existe une sécurité physique, émotive,
psychologique, la peur de tout cela, la peur de l'inconnu, du
lendemain, de voir votre femme vous abandonner, d'être sans croyance
aucune, de se sentir isolé, solitaire et, à chaque instant,
profondément désespéré en soi-même ; voilà ce que nous
appelons vivre, c'est une lutte, une existence torturée, pleine de
pensées stériles. Et c'est ainsi que nous vivons, parce que telle est
notre existence avec de rares moments d'équilibre, de clarté, auxquels
nous nous attachons avec fureur.
S'il
vous plait, messieurs, ne vous
contentez pas
d'écouter des paroles et de vous laisser emporter par
elles ; les explications, les définitions, les descriptions
ne sont pas le fait. Le fait, c'est votre vie, que vous en soyez
conscient ou non. Et vous ne pouvez pas en être conscients en
écoutant les paroles de l'orateur, paroles qui ne font que
décrire votre condition, et si vous vous laissez prendre
à la description, au piège des mots, alors vous
êtes perdus à tout jamais. Et c'est cela ce que nous
sommes, nous sommes perdus, nous sommes désolés parce que
nous avons accepté des mots, des mots et encore des mots. Donc
s'il vous plait, je vous en supplie, ne vous laissez pas prendre au
piège des mots, mais observez vous-même et observez votre
vie quotidienne, ce à quoi vous donnez le nom de vivre et qui
consiste à aller au bureau, à passer des examens,
à obtenir une situation, à vivre dans la crainte, sous
les pressions familiales, sociales, les traditions, les tortures de
l'insuccès, l'incertitude de l'existence, la profonde et
complète lassitude de la vie qui n'a aucun sens d'aucune sorte.
Vous pouvez lui donner un sens, vous pouvez inventer tout comme le font
les philosophes, les théoriciens et les gens religieux -
inventer une signification à la vie, c'est là leur
métier.
Mais ceci consiste à vous nourrir de paroles
alors que vous avez besoin d'aliments substantiels : vous
êtes nourris de paroles et vous êtes satisfaits par les
paroles. Pour comprendre cette vie, nous devons tout d'abord la
regarder : entrer en contact intime avec elle, ne laisser ni
temps
ni espace s'installer entre vous et elle. Quand vous êtes dans un
état de souffrance physique intense, cet intervalle de
temps-espace n'existe pas, vous agissez, vous ne faites pas de
théorie, vous ne vous querellez pas avec d'autres pour savoir
s'il existe un atman ou pas d'atman, une âme ou pas d'âme,
vous ne vous mettez pas à citer la Gita, les Upanishad, le
Coran, la Bible ou les paroles d'un saint quelconque. A ces
moment-là, vous êtes directement en face de la vie vraie.
La vie, c'est le mouvement qui est actif, qui consiste à faire,
à penser, à ressentir, à craindre, à se
sentir coupable, à être désespéré -
voilà ce qu'est la vie. Et il nous faut être en contact
intime avec elle.
Or
il est impossible d'être en contact
intense, passionné, vivace avec elle si on a peur. Cette peur nous
pousse à croire que l'objet de notre croyance soit la communauté
idéologique du communisme ou l'idée théocratique du prêtre ou du
pasteur. Toutes ces choses sont issues de la peur. Très évidemment,
tous les dieux naissent de nos tourments, et quand nous les adorons, ce
que nous adorons, c'est notre tourment, notre solitude, notre
désespoir, notre malheur, notre tristesse. Je vous en supplie, écoutez
tout ceci, il s'agit de votre vie, non de la mienne.
Il faut que vous
voyiez ceci en face, et ainsi il vous faut comprendre la peur, et vous
ne pouvez pas la comprendre si vous ne comprenez pas votre vie. Il vous
faut comprendre votre propre jalousie, votre envie, l'envie et la
jalousie ne sont que des symptômes de la peur. Et il est possible de
comprendre totalement (non pas intellectuellement, une compréhension
intellectuelle n'existe pas, il n'existe qu'une compréhension totale),
et c'est ce qui se passe quand vous regardez ce coucher de soleil avec
votre esprit, votre cœur, vos yeux, vos nerfs, et c'est alors que vous
comprenez vraiment.
Pénétrer la jalousie, l'envie, l'ambition, la
cruauté, la violence, pour leur donner une attention complète au
moment-même où vous vous sentez envieux, jaloux, haineux, et même privé
de toute honnêteté vis à vis de vous-même ; alors, ayant
pénétré cela, vous comprenez la peur. Mais vous ne pouvez pas prendre
la peur comme une abstraction. Après tout elle existe toujours à
l'occasion de quelque chose. N'avez vous pas peur de votre voisin, du
gouvernement, de votre femme, de votre mari, de la mort, et ainsi de
suite ? Il vous faut observer non pas la peur, mais vous
demander comment elle a pris naissance.
Et
maintenant nous allons examiner ce que
c'est que de vivre cette vie à laquelle nous nous cramponnons si
désespérément, la vie quotidienne monotone, tragique, la vie du
bourgeois, de l'homme médiocre, de celui qui est écrasé - car nous
sommes tous écrasés par la société, la culture, la religion, les
prêtres, les leaders, les saints, et faute de comprendre ceci, jamais
vous ne comprendrez la peur. Donc nous nous proposons de comprendre
cette vie et aussi cette source immense de peur que nous nommons la
mort. Et pour ce faire, il nous faut disposer d'une immense énergie et
d'une intense passion. Vous savez comment nous gaspillons notre énergie
(je ne fais pas allusion ici à votre vie sexuelle, c'est une très
petite chose et n'en faites pas une question inutilement importante),
mais il nous faut examiner directement, et non pas conformément aux
idées de Shankara ou de quelque autre penseur qui ont inventé leur
façon particulière de s'évader de la vie.
Pour
découvrir ce que c'est que de vivre,
il nous faut avoir non seulement l'énergie, mais encore une qualité de
passion soutenue, et ce n'est pas l'intelligence qui peut soutenir la
passion. Pour qu'existe cette passion, il faut nous demander d'où vient
le gaspillage de l'énergie. Il est aisé de voir que c'est un gaspillage
d'énergie que de suivre quelqu'un - vous comprenez ? - d'avoir
un leader, un gourou, parce que quand vous suivez, vous imitez, vous
copiez, vous obéissez, vous établissez une autorité, et votre énergie
est par conséquent diluée.
Observez ceci, je vous en prie, faites le.
Ne retournez pas vers vos gourous, vos sociétés, vos autorités, laissez
les tomber comme des objets brûlants. Vous pouvez voir comment vous
gaspillez votre énergie quand vous acceptez un compromis. Vous savez ce
que c'est qu'un compromis ? Il y a compromis quand il y a
comparaison. Or, depuis notre enfance, nous sommes entraînés à comparer
ce que nous sommes avec celui qui est le meilleur de la classe ou le
meilleur de l'école : ou encore nous comparer avec ce que nous
étions naguère, nobles ou ignobles, nous comparer aux moments heureux
par lesquels nous avons passé hier, qui sont survenus sans que nous
soyons prévenus, mais subitement ce bonheur nous est arrivé, la joie de
contempler un arbre, une fleur, le visage d'une belle femme, d'un
enfant ou d'un homme, et nous comparons l'état d'aujourd'hui avec celui
d'hier. Une telle comparaison, une telle mensuration, c'est le
commencement d'un compromis. Je vous en prie, voyez ceci par vous-même.
Voyez-en la vérité, voyez que, dès l'instant où vous mesurez, c'est à
dire où vous comparez, vous être en train de négocier avec ce qui est.
Quand vous dites qu'un tel homme est fonctionnaire, qu'il gagne tant,
qu'il est à la tête de ce département ci ou de celui-là, vous comparez,
vous jugez, vous situez certaines personnes comme étant importantes,
oubliant leurs qualités humaines, mais les jugeant selon des diplômes,
leur qualité, leur valeur économique, leur job et toutes les lettres de
l'alphabet qui figue après leur nom. Et ainsi vous comparez, vous vous
comparez à un autre, que l'autre soit un saint, un héros, un dieu, une
idée ou une idéologie - vous comparez, vous mesurez - et tout ceci
donne naissance à des compromis qui ne sont rien d'autre qu'un immense
gaspillage d'énergie.
Il ne s'agit pas ici de votre vie sexuelle et de
toutes les traditions qui accompagnent cette idée. Donc, quand on voit
que tout ceci constitue un gaspillage d'énergie et que cette énergie
est complètement perdue, quand vous vous complaisez à des activités
purement intellectuelles, des théories, vous demandant s'il existe ou
non une âme, tout cela c'est du temps perdu, de l'énergie gaspillée.
Quand vous lisez ou que vous écoutez les sempiternelles citations d'un
saint quelconque, ou d'un sanyasi, ou les commentaires qu'il a pu faire
de la Gita, ou des Upanishad, mais pensez combien c'est absurde,
combien c'est enfantin ! Voilà quelqu'un qui donne une
explication d'un livre, lequel est lui-même mort et écrit par un poète
qui est mort, pour lui attribuer une signification immense. Tout ceci
montre l'infantilisme d'un tel gaspillage d'énergie.
Seul
un esprit infantile se compare à ce
qui est et à ce qui devrait être. Un esprit mûr ne compare pas, ne
mesure pas. Je ne sais pas si jamais vous vous êtes regardé vous-même
pour constater comment vous vous comparez à une autre en
disant : "il est tellement beau, il est si intelligent , si
habile, si éminent : moi je ne suis rien du tout et j'aimerais
tellement être comme lui"
Ou
bien encore : "comme elle est
belle, comme elle est bien faite. Elle a un esprit vraiment
intelligent, séduisant, bien supérieur au mien". Toujours nous pensons
et nous fonctionnons dans un mode de comparaison et de mesure. Et si
jamais vous vous êtes examiné, peut-être que vous vous êtes
dit :"maintenant plus de comparaison, plus de comparaison avec
n'importe qui, même pas avec l'actrice la plus prestigieuse ".
Voyez-vous, la beauté ne se trouve pas dans l'actrice, la beauté est
une chose totale, qui n'est ni dans le visage, ni dans la taille, ni
dans le sourire, mais là où il y a une qualité de compréhension totale,
la totalité de son être ; quand c'est là ce qui apparaît, là
est la beauté. Voyez la chose en vous-même, s'il vous plait, essayez, ou
plutôt faites-le.
Quand
on se sert du mot "essayer", vous
savez qu'un tel état d'esprit est déplorable et bête ; quand
il a dit :"j'essaye, je fais des efforts" , c'est le symptôme
d'un esprit essentiellement bourgeois qui mesure, qui a le sentiment de
faire un peu mieux chaque jour. Donc découvrez par vous-même si vous
êtes capable de vivre non pas théoriquement, mais vraiment sans
comparer, sans mesurer, sans jamais évoquer les mots "mieux" et "plus".
Voyez alors ce qui se passe. Seul un esprit mûr ne gaspille pas son
énergie et un tel esprit peut vivre une vie très simple. J'entends une
vie d'une simplicité réelle, non pas la simplicité de l'homme qui ne
prend qu'un repas par jour et qui ne porte qu'un pagne - çà c'est de
l'exhibitionnisme - mais un esprit qui se refuse à mesurer et qui, par
conséquent, ne gaspille pas son énergie.
....Nous
gaspillons notre énergie et cette
énergie vous en avez besoin si vous vous proposez de comprendre la
manière monstrueuse dont nous vivons, et il faut que nous le
comprenions, c'est la seule chose que nous ayons, et non nos dieux, nos
Bible, nos Gita, nos idéaux. Ce que vous avez, c'est cette chose là, le
tourment quotidien, l'anxiété quotidienne. Et s'agissant de le
comprendre, il vous faut être en contact intime avec elle, qu'il n'y
ait aucun espace entre vous-même, l'observateur, et cette chose
observée, c'est à dire le désespoir, etc ; et, pour cela, il
vous faut disposer d'une énergie immense, d'un élan total.
Si
vous disposez de cette énergie qui ne
se dissipe pas - quand cela vous arrive vous pouvez comprendre ce que
c'est que de vivre. Il n'y aura alors aucune peur de la vie, de l'élan
de la vie. Savez-vous ce que c'est qu'un élan ?
C'est
une chose qui n'a ni commencement ni
fin, et par conséquent, ce mouvement, en lui-même, est la beauté, la
gloire. Vous me suivez ?
Donc
la vie c'est cet élan, et pour le
comprendre, il faut qu'il y ait liberté et énergie. Comprendre la mort,
c'est comprendre quelque chose qui est en rapport très étroit avec la
vie. Vous savez, la beauté (il ne s'agit pas de tableaux, ou d'une
personne, ou d'un arbre, ou d'un nuage, ou d'un coucher de
soleil), la beauté ne peut pas être séparé de l'amour ; et là
où il y a amour et beauté, il y a la vie et il y a aussi la mort. On ne
peut pas séparer l'une de l'autre. Dès l'instant où vous les séparez,
il y a conflit et le rapport qui les relie disparaît. Nous avons
regardé, pas en grand détail ni très largement peut-être, mais nous
avons regardé la vie.
Et
maintenant approfondissons, examinons
cette question de la mort. Vous êtes-vous demandé pourquoi vous avez
peur de la mort ? Il semblerait que presque tout le monde en a
peur. Il y a des gens qui ne veulent même pas en entendre parler, ou
ils s'y résignent, ou encore ils la glorifient. Il y en a qui inventent
une théorie, une croyance, une évasion, - telle que la résurrection. La
plupart des gens qui vivent en orient croient à la réincarnation, c'est
probablement le cas pour vous tous. Autrement dit il existerait une
entité permanente ou une mémoire collective, destinée à renaître dans
la vie future. C'est bien cela ?
C'est
cela que vous croyez tous ;
vous aurez alors de meilleures occasions de vivre plus pleinement, vous
pourrez vous perfectionner car cette vie est si courte, elle ne peut
pas vous procurer toutes les expériences, toutes les joies, tout le
savoir et, par conséquent, ayons donc une autre vie. Vous avez soif
d'une autre vie où vous aurez le temps et l'espace pour vous
perfectionner, c'est là votre croyance. Ainsi vous vous évadez du fait.
Nous ne nous préoccupons pas maintenant de savoir si la réincarnation
existe vraiment, s'il existe une continuité ou non. C'est une question
qui exige une analyse tout à fait différente. Brièvement, nous pouvons
voir que ce qui comporte une continuité, c'est une chose qui a existé,
qui a existé hier, qui se prolongera aujourd'hui, à travers aujourd'hui
vers demain. Une telle continuité se produit dans le temps et l'espace.
Ceci n'est pas un jeu intellectuel, vous pouvez le voir très simplement
par vous-même. Et nous avons peur de cette chose que nous nommons la
mort. Nous n'avons pas seulement peur de vivre, nous avons peur de
cette chose inconnue. Mais avons-nous peur de l'inconnu, ou avons nous
peur du connu, de perdre le connu ? Autrement dit notre
famille, nos expériences, notre existence quotidienne si monotone - ce
connu, la maison, le jardin, le sourire auquel vous êtes habitués, la
nourriture que vous avez mangée depuis trente années, la même
nourriture, le même climat, les mêmes livres, la même tradition - vous
avez peur de perdre tout cela n'est-ce pas ? Car comment
pourrez-vous avoir peur de quelque chose que vous ignorez ?
Donc,
la pensée a peur non seulement de
perdre le connu, mais encore elle a peur de quelque chose qu'elle
appelle la mort et qui est inconnu. Comme nous l'avons dit, on ne peut
pas se débarrasser de la peur, mais elle peut être comprise quand les
choses qui la font naître, comme la mort sont elles-mêmes comprises.
Or, au cours du temps, l'homme a toujours repoussé la mort loin de
lui ; les anciens égyptiens, en revanche, vivaient en vue de
mourir. La mort est quelque chose que l'on tient à distance, cet
intervalle de temps et d'espace qui s'écoule entre la vie et ce que
nous appelons la mort. La pensée qui a établi cette division, qui a
séparé le vivre du mourir, la pensée entretient cette division.
Approfondissez donc la chose, messieurs. Si vous le voulez, c'est très
simple. La pensée a séparé ces choses parce qu'elle s'est
dit : " je ne sais pas ce que c'est que le futur" ;
je ne peux me complaire à d'innombrables théories : si je
crois à la réincarnation, cela veut dire qu'il me faut me comporter,
travailler, agir maintenant - si c'est cela que je crois. Ce que vous
faites maintenant a de l'importance et en aura le jour où vous mourrez
- mais ce n'est pas là votre façon de croire. Vous croyez à la
réincarnation comme à une idée réconfortante, plutôt vague, et vous ne
vous inquiétez pas du tout de ce que vous faites maintenant. Vous ne
croyez pas vraiment au karma, bien que vous en parliez beaucoup. Si
vous y croyez vraiment, réellement, comme vous croyez à la valeur de
l'argent, des expériences sexuelles, alors chaque mot, chaque geste,
chaque mouvement de votre être aurait de l'importance, parce que vous
vous paierez tout cela dans votre prochaine vie. Et une telle croyance
entraînerait une discipline stricte ; mais vous n'y croyez
pas, ce n'est qu'une évasion, et vous avez peur seulement parce que
vous ne voulez pas lâcher prise.
Or,
que s'agit-il de lâcher ?
Regardez, quand vous dites :"j'ai peur de lâcher prise", de
quoi avez-vous peur ? De lâcher quoi ? Mais regardez
de très près.
Votre
famille, votre femme, votre mère,
votre enfant ? Avez-vous jamais eu des rapports réels avec
eux ? Vous avez eu des relations avec une idée, une image, et
quand vous dites "j'ai peur de lâcher prise, d'être détaché", de quoi
croyez- vous vous détacher ? De souvenirs ?
Simplement de souvenirs, souvenirs de plaisirs sexuels, d'être devenu
un homme important ou d'être un petit homme de rien du tout qui a
grimpé un ou deux échelons dans l'échelle sociale, des souvenirs de
votre carrière, de vos amitiés - simplement des souvenirs. Et vous avez
peur de perdre ces souvenirs. Mais si agréables ou pénibles qu'ils
puissent être, que sont des souvenirs ? Ils n'ont aucune
substance. Vous avez donc peur de perdre quelque chose qui n'a aucune
valeur, le souvenir étant une chose qui a une continuité, un assemblage
dans la mémoire, une unité, un centre.
Donc
quand on comprend ce que c'est que de
vivre, c'est à dire quand on comprend la jalousie, l'anxiété, la
culpabilité, le désespoir, et quand on est au-delà et au-dessus de
toutes choses, la vie et la mort sont très proches l'une de l'autre.
Vivre alors, c'est mourir. Vous savez, si vous vivez selon les
souvenirs, les traditions, dans l'idée de ce que vous "devriez être",
vous ne vivez pas vraiment. Vous vivez non pas dans un monde
fantastique de concepts, mais vous vivez vraiment, non pas selon les
Védas, les Upanishad qui n'ont pas de substance ; mais ce qui a
de la substance, c'est votre vie de tous les jours, c'est la seule
chose que vous ayez, et faute de la comprendre, jamais vous ne
comprendrez l'amour, la beauté et la mort.
Et
maintenant, nous en revenons à notre
point de départ, à savoir : pourquoi n'existe-t-elle pas dans
nos cœurs cette flamme ? Car si vous avez examiné de très
près ce qui a été dit, non pas verbalement, intellectuellement, mais si
vous l'avez examiné dans votre esprit et dans votre cœur, vous saurez
alors pourquoi vous ne l'avez pas, si vous avez ce sentiment et que
vous vivez avec, si vous êtes passionné dans votre recherche en vous
demandant pourquoi vous ne l'avez pas, vous vous apercevrez que vous
l'avez. Par une négation complète, cette chose qui seule est positive,
qui est amour, prend naissance. Tout comme l'humilité, l'amour ne peut
pas être cultivé. L'humilité prend naissance quand il y a la fin totale
de toute vanité, de tout orgueil, mais jamais vous ne saurez ce que
c'est que d'être humble ; parce que l'homme qui croit savoir
qu'il est humble est un homme vaniteux.
Et
de la même façon, si vous donnez tout
votre esprit, tout votre cœur, tous vos nerfs, tous vos yeux, tout
votre être pour découvrir la juste façon de vivre, pour voir ce qui
"est" vraiment et pour aller au-delà, si vous rejetez complètement,
totalement, cette vie telle que vous la vivez maintenant, dans ce rejet
complet de tout ce qui est laid, brutal, dans sa négation totale,
"l'autre" prend naissance.
Mais
vous ne le saurez jamais. Un homme
qui sait qu'il est silencieux, qui sait qu'il aime, ignore l'amour,
ignore le silence."